La formation d’adaptation aux nouveaux gestes ambulanciers
Après avoir présenté la mise en place officielle des nouveaux gestes autorisés dans le cadre de la profession ambulancière nous allons vulgariser les textes règlementaires et faire le rapprochement avec notre pratique quotidienne. Cette analyse fait suite à la formation dispensée en CESU conformément à l’application des textes règlementaires.
Décret du 22 avril 2022.
Il faut rendre à César ce qui appartient à César, ce décret est en grande partie due à la loi Matras. Mais l’ex député du Var ne pensait pas, menant son projet de loi à l’assemblée, que cela profiterait aux ambulanciers. Oserais-je dire : bien au contraire…. En effet, la loi du 25 novembre 2021, dite loi Matras, vise à consolider le modèle de sécurité civile tout en valorisant le volontariat des sapeurs-pompiers. Cette loi permet de clarifier et d’étendre le régime d’intervention des services d’incendie et de secours. En gros, faire du pompier secouriste un super soignant…
Rendons encore à César son dû, c’est grâce à l’intervention de nos institutions, dans le cadre du Ségur de la santé notamment, que les ambulanciers ont été raccroché au wagon de « l’upgrade » du secours pré hospitalier non médicalisé français. Il était moins une…
De nouveaux actes professionnels : une révolution ?
Il faut bien le dire, depuis la création du diplôme d’État en 2007, il ne s’est pas passé grand-chose. Ce décret a été accueilli par l’ensemble de la profession comme le Saint Graal retrouvé. « Enfin, on va pouvoir faire du soin professionnalisé, enfin on va pouvoir donner des médicaments, enfin on va devenir paramédic… ! » pouvais-je entendre à la machine à café.
Mais à la lecture du fameux décret, la liesse est bien vite retombée. Bien sûr, la plupart des gestes sont sur prescription médicale. Bon, déjà, on oublie donc l’aspect paramédic de la chose. Mais ne rêvons pas, nous sommes en France, pays du tout médical. Et puis il y a beaucoup de « si », de « mais » et beaucoup de questions sans réponse. Nous le verrons tout à l’heure.
La formation des ambulanciers aux nouveaux gestes
Ce sont les CESU qui sont chargés de cette formation, sa durée est fixée à 21 heures (3 jours) pour un tarif d’environ 400€. Mais la vraie déconvenue de ce décret est le fait que personne n’a été fichu de rendre obligatoire cette formation. Il appartient donc à votre chef d’entreprise de faire la démarche ou à votre SAMU ou ARS de la rendre obligatoire dans votre département.
Alors, vraie avancée ou poudre aux yeux, à vous de juger….
Le contenu de la formation aux nouveaux actes ambulanciers
-I.-Dans le cadre de la prise en charge de patients par les services d’aide médicale urgente et les services concourant à l’aide médicale urgente mentionnés à l’article L. 6311-2, les ambulanciers titulaires d’un diplôme mentionné à l’article L. 4393-2 et remplissant la condition mentionnée au IV peuvent, sous la responsabilité du médecin assurant la régulation téléphonique prévue au 1° de l’article R. 6123-1 ou du médecin de l’équipe d’intervention de la structure mobile d’urgence et de réanimation, accomplir les actes ou dispenser les soins énumérés aux II et III.
II.-Les actes suivants sont accomplis en lien constant avec le médecin mentionné au I :
- 1° Prise de température, de pulsation cardiaque et de pression artérielle par voie non invasive ;
- 2° Recueil de la glycémie par captation capillaire brève ou lecture transdermique ;
- 3° Administration en aérosols de produits non médicamenteux ;
- 4° Evaluation de la douleur et observation des manifestations de l’état de conscience ;
- 5° Recueil du taux de saturation en oxygène ou en monoxyde de carbone par voie non invasive.
III.-Les actes suivants sont accomplis sur prescription du médecin mentionné au I, lorsqu’il estime que l’urgence de la situation le requiert :
- 1° Administration en aérosols ou pulvérisation de produits médicamenteux, en présence d’un tableau clinique de :
- Asthme aigu grave, à condition que la personne soit un asthmatique connu et reçoive ce traitement médicamenteux à titre habituel ;
- Douleurs aigües ;
- 2° Administration par voie orale ou intra-nasale de produits médicamenteux dans le respect des recommandations de bonnes pratiques des sociétés savantes, en présence d’un tableau clinique de :
- Overdose d’opiacés ;
- Douleurs aigües ;
- 3° Administration de produits médicamenteux par stylo auto-injecteur, en présence d’un tableau clinique de :
- Choc anaphylactique, lorsque la personne est un allergique connu ;
- Hypoglycémie, lorsque la personne est un diabétique connu
- 4° Enregistrement et transmission d’électrocardiogramme à visée diagnostique à l’aide d’un outil automatisé ;
- 5° Recueil de l’hémoglobinémie.
IV.-Sont seuls habilités à accomplir les actes mentionnés au II et au III les ambulanciers ayant suivi une formation délivrée dans les conditions définies par un arrêté du ministre chargé de la santé. »
Décryptage sur ces nouveaux gestes autorisés aux ambulanciers
Revoyons point par point ces fameux gestes :
1° Prise de température, de pulsation cardiaque et de pression artérielle par voie non invasive
Papy René qui était ambulancier en 1972 avec sa Citroën DS, sa blouse de boucher, son pantalon gris à pince et sa moustache savait déjà le faire. Passons.
2° Recueil de la glycémie par captation capillaire brève ou lecture transdermique
Le lecteur transdermique se développe de plus en plus, il est intéressant pour les vieux ADE/CCA d’apprendre à se servir d’un lecteur, savoir où il peut être placé sur le patient et connaître ces défauts (dérèglement, panne…). Quant à la glycémie capillaire, nous la faisons tous depuis des années sans jamais être sûr si nous avions le droit ou pas. Au moins, nous sommes débarrassés de cette angoisse à chaque piqûre au bout du doigt. Enfin.
3° Administration en aérosols de produits non médicamenteux
Alors ça, ça a fait parler ! Qu’est-ce qu’un produit non médicamenteux ? Afin de répondre, nous nous baserons sur l’enseignement d’un CESU (que nous ne nommerons pas). Cette réponse ne conviendra peut-être pas à d’autres CESU, d’autres médecins ou d’autres formateurs.
Quoi qu’il en soit, ce CESU nous enseigne la chose suivante : dans le cadre de la laryngite ou de la bronchiolite de l’enfant, vous pouvez administrer, sans prescription médicale, une pipette de chlorure de sodium (sérum physiologique) soit environ 4/5 ML selon la marque, à l’aide d’un masque nébulisation, avec un débit d’oxygène à 9 litres. Du propre aveu du médecin urgentiste formateur de ce CESU, cela n’a pas grand intérêt d’un point de vue médical mais ça peut aider quand même.
Ça me rappelle un peu le célèbre et encore bien présent : « Il a mal ? Ben mettez lui 3 litres pendant le transport, ça lui fera p’tét’ du bien…. »
4° Evaluation de la douleur et observation des manifestations de l’état de conscience
Glasgow, EVA, EN… Ça aussi, on le fait tous les jours, depuis longtemps. Au CESU, c’est juste l’occasion de faire une bonne révision des GSU et de l’état clinique.
Mais cette ligne, ça fait un peu remplissage quand même, je trouve….
5° Recueil du taux de saturation en oxygène ou en monoxyde de carbone par voie non invasive.
Quitte à me répéter, on est toujours dans le remplissage là, non ? La saturation, c’est le geste de base. Alors, révisons juste notre état clinique et rappelons que les chiffres sont à prendre avec des pincettes. Tremblement, Raynaud, hypoperfusion, vernis à ongle de mauvaise qualité, faux ongles… non, si mon capteur m’indique 70%, mon patient n’est pas forcément en train de décéder. Il suffit d’ouvrir les yeux et les oreilles.
Petit débat : la CO oxymétrie est-elle utile dans le cadre de notre activité ? Le prix de l’appareil (environ 1500€) est-il justifié ? Personnellement, je pense qu’il est beaucoup plus utile et profitable d’investir dans des capteurs de CO, qui devraient du reste être obligatoire sur chaque ambulancier.
Passons maintenant aux actes sur prescription médicale
1° Administration en aérosols ou pulvérisation de produits médicamenteux, en présence d’un tableau clinique de :
a) Asthme aigu grave, à condition que la personne soit un asthmatique connu et reçoive ce traitement médicamenteux à titre habituel
Il s’entend donc que, sur prescription, vous pourrez administrer de la Ventoline en pulvérisation buccale ou des corticoïdes en aérosol, par exemple, toujours au masque à 9L, à la condition que le patient soit en possession d’une prescription et donc, de fait, possède déjà les médicaments.
b) Douleurs aigües
Sûrement la seule réelle avancée de toute cette histoire. Enfin, on nous ouvre une fenêtre vers l’antalgie. Alors, un antalgique en aérosols ou pulvérisation, il n’y en a pas 36. Kalinox, Pentrox…
Notre Cesu (que nous ne nommerons pas) a tranché pour le Pentrox. Facile d’utilisation, il faut cependant connaître les contre-indications. Mais ce gaz est terriblement efficace dans le cadre strict des douleurs liées aux traumatismes osseux. Son prix ? Environ 60€ la dose….
2° Administration par voie orale ou intra-nasale de produits médicamenteux dans le respect des recommandations de bonnes pratiques des sociétés savantes, en présence d’un tableau clinique de :
a) Overdose d’opiacés
La, c’est simple, on parle du Naloxone (Narcan) par pulvérisation nasale. Bien connu des ambulanciers américains, il faut reconnaître que nous avons la chance d’être dans un pays ou les drogues ne circulent pas tant. Mais il est au moins important de savoir reconnaître une overdose, connaître les indications et le mode d’administration. Savoir aussi que lorsque votre junkie va se réveiller, il va vous en vouloir de lui avoir cassé son trip. Donc, méfiance…
b) Douleurs aigües
Là, votre médecin régulateur pourra vous proposer (ou inversement) d’administrer un antalgique per os. Le texte ne donne pas plus de précision… A votre CESU et à votre SAMU de poser les limites.
3° Administration de produits médicamenteux par stylo auto-injecteur, en présence d’un tableau clinique de :
a) Choc anaphylactique, lorsque la personne est un allergique connu
J’interviens sur une piqure de guêpe, mon patient gonfle et a du mal à respirer. Il se sait allergique et possède donc un stylo d’adrénaline. Je peux lui injecter (dans le muscle de la cuisse de préférence).
Parfait. J’interviens sur une piqure de guêpe, mon patient gonfle et a du mal à respirer. Il ne se sait pas allergique mais possède le stylo injectable d’adrénaline de son fils. Je ne lui injecte pas. Et il meurt. Voilà ce que nous dit le texte.
Bien sûr, votre médecin régulateur, à priori, vous autorisera à injecter la dose du fiston. Ou du voisin. Ou de n’importe quel mec qui a un stylo injectable d’adrénaline de type Epipen. Son prix : environ 60€.
b) Hypoglycémie, lorsque la personne est un diabétique connu
On parle du Glucagon, vendu sous le nom de Baqsimi. Disponible en intra nasale, il est souvent disponible au domicile qu’en injectable. Il vous faudra donc vous former à préparer l’injectable et la réaliser. C’est en tous les cas l’avis de notre CESU. Il semble que tout le monde ne soit pas d’accord sur notre possibilité de réaliser le mélange médicamenteux que nécessite cette forme pharmaceutique.
4° Enregistrement et transmission d’électrocardiogramme à visée diagnostique à l’aide d’un outil automatisé
L’ECG, tout le monde connaît. Mais un « outil automatisé », qu’est-ce que c’est ? A votre avis ? Nous n’avons pas vraiment la réponse et le mieux est de se former à la pose d’électrodes à l’ancienne, 4 dérivations, 12 ou 18, ainsi qu’à l’utilisation de la ceinture thoracique type Nomadeec.
On ferme les yeux, on respire normalement, on se détend, on ne bouge pas….
Là aussi, certains diront qu’ils font des ECG depuis 10 ans. Oui, mais était-ce bien légal ?… L’ordre des infirmiers avait la réponse. Nous en avons maintenant une, implacable.
5° Recueil de l’hémoglobinémie
C’est l‘HemoCue. Nous savons, je l’espère, tous reconnaître un état de choc, une hypovolémie. Et il faut bien avouer que, dans notre pratique ambulancière à la française, nous avons rarement des patients exsangues. Le prix de l’appareil (environ 600€) et des consommables risque de freiner votre chef d’entreprise. Notre médecin formateur du SAMU nous déconseille cet investissement. A vous de voir.
En conclusion
Ce décret et sa formation a le mérite d’exister. Loin de moi l’idée de cracher dans la soupe, je m’en réjoui et j’ai été heureux de suivre cette formation. Ceci étant, nous nageons quand même dans le flou. Qui va ordonner ces médicaments, allons-nous pouvoir les posséder dans l’ASSU, qui va gérer les stocks, les péremptions et surtout, qui va les payer ? Notre CESU n’a pas la réponse, ces questions n’ont pas été anticipées par notre ministère. Autant dire que, si le texte est sorti assez vite et si certains CESU se sont bougés pour créer la formation, on est encore bien loin du compte.
Chers amis ambulanciers, vos paupières sont lourdes, très lourdes, vous n’entendez plus que ma voix, à 3, vous allez devenir des paramédics. 1, 2, 3….
