De garde de nocturne et en pleine période de confinement, les nuits sont plus calmes, ou moins laborieuses mais plus agitées, c’est selon…
Je ne réitèrerai pas ce qui a été maintes fois relaté dans les journaux télévisés, les messages d’alertes des médecins urgentistes s’acharnant vainement à sensibiliser la populace inquiète et malade de se rendre malgré tout chez le médecin ou à l’hôpital pour tout motif valable, mais force est de constater que le reflets stroboscopique des gyrophares sont moins notre quotidien que le mur immaculé de notre chambre de garde.
L’essentiel de notre activité en cette période relève de la psychiatrie ou tout du moins de la prise en charge psychologique de patients en pleines décompensations, crises d’angoisses et autre phénomènes relevant des sombres desseins de la psyché humaine.
Un soir calme parmi d’autres donc, il est 2h lorsque nous sommes déclenchés pour une crise hysteriforme à caractère paranoïaque.
Arrivés sur place nous sommes accueillis par une bande d’amis nous expliquant tant bien que mal l’origine et le contexte de la crise.
Cela fait une semaine que ce groupe d’amis s’est retrouvé dans la maison de l’un des leurs avec piscine et jardin de convenance en cette période, et qu’ils fêtent la fin du confinement comme il se doit, s’hydratant généreusement à base d’autres cocktails que l’H2o.
La patiente en question, mère d’une jeune enfant s’est faite quitter par son conjoint et père de la petite durant le confinement.
Nous la retrouvons allongée en peignoir sur un lit, endormie semble-t-il et maintenue aux poignets par un autre ex.
Nous explique-t-il qu’elle est en petite tenue, ces vêtements trempés après avoir fait un tour dans la piscine (la vous sentez la phrase d’intro arriver).
Je prends la relève de l’ex au maintien de la patiente (une trentaine d’année) en lui expliquant calmement mon statut et ce qui va suivre.
Je suis ambulancier, je crois que vous êtes réveillée et je vais vous lâcher les poignets.
Se faisant la patiente daigne m’ouvrir son regard (quelque peu perdue dans les limbes d’une autre dimension psychique), dodeline légèrement de la tête et se redressant sur le lit nous offre la vision de son peignoir s’ouvrant sur la petite tenue en question.
Nous détournons vaillamment et prestement le regard en invitant cette dernière à se recouvrir, mais elle décide plutôt de se relever complètement du lit et c’est alors le peignoir qui se retrouve à ses pieds.
Nos tenues professionnelles, noires avec une bande blanche à l’horizontale du torse, elle nous confond et se jaugeant elle-même de toute sa hauteur, fait voyager sont regard de de son corps dénudé aux nôtres et nous lancent un cordial :
« Put*** de flics c’est ça que vous voulez hein?! »
Nous tâchons de mettre en avant la croix de vie affichée sur nos tenues pour dissiper le malentendu et lui remettons le peignoir pour qu’elle se recouvre, ce qu’elle accepte sans rechigner.
Des lors nous commençons à pouvoir communiquer avec elle afin de comprendre son point de vue sur la situation, de prendre ses constantes et d’établir un profil le plus exhaustif possible pour le bilan à venir.
A plusieurs reprises elle sort de la chambre mais des quelle croise ses « amis » elle leur lancent des « grosse vache avec tes vergetures c’est comme ça que tu t’occupes de tes amis » et autres joyeusetés.
Afin de maîtriser la situation et éviter que cela s’envenime nous décidons de la restreindre dans la chambre.
A partir de la, elle s’évertuera à sortir coûte que coûte de la chambre et dans une ultime tentative se jette sur moi pieds et poings en avant, le peignoir tombant de nouveau au sol et je me retrouve à devoir la maintenir, aggripant doucement mais fermement ces poignets pour les passer en croix devant elle et la faire s’agenouiller pour limiter ses mouvements.
Il est maintenant 3h du matin et je me retrouve à genoux avec une femme en sous vêtements dans les bras qui vient de tenter de me frapper.
Intérieurement je prend du recul vis à vis de la situation, de son caractère absurde et cocasse et me dit que c’est typiquement le genre d’intervention qui sort de l’ordinaire, nous fait vivre des situations ubuesques et donne tout son sel à ce métier.
La suite se déroulera sans encombres, nous parviendrons à raisonner la jeune femme, qui nous accompagnera, vêtue en bonne et due forme sur le brancard pour se rendre aux urgences psy.