» Votre ambulance est attaquée !! «
Il y a une quinzaine d’années je débute en tant que jeune ambulancier diplômé et mon expérience du terrain est plutôt limitée. À dire vrai, je ne sais pas trop à quoi m’attendre, d’autant qu’on me lance tout de suite dans le grand bain, à effectuer des gardes départementales de jour comme de nuit, sans compter les urgences pré-hospitalières en plus des transports courants.
En cette fin d’après-midi me voilà donc parti accompagné de mon binôme du jour, un auxiliaire ambulancier d’une quarantaine d’années, ancien videur de boîte de nuit pendant dix ans, aujourd’hui reconverti en bon samaritain.
Mais du genre très costaud et pas commode si on l’emmerde… Il était parfois plutôt cocasse de tomber sur d’anciennes de ses « connaissances », qui se souvenaient alors surtout de ses poings.
Ambulance à la demande du SAMU
À la demande du SAMU nous intervenons pour un homme de 30 ans agressif et agité à son domicile. Nous sommes attendus impatiemment comme des messies par plusieurs membres de la famille à l’extérieur de la maison, tout le monde est paniqué et on entend des hurlements. À peine descendu qu’on nous entraîne à l’intérieur : « C’est par là, venez-vite !! »
L’homme est couché sur le dos, se débattant, hurlant, uniquement retenu tant bien que mal par son beau-père et son frère, les femmes présentes n’arrêtent pas de crier et de gesticuler.
Décompensation psychiatrique
Après quelques questions dans un brouhaha indescriptible on comprend vite qu’il s’agit d’une décompensation psychiatrique ; le patient est bipolaire, dépressif, sur fond de problèmes d’alcool, de toxicomanie diverse et de misère sociale évidente. Et aujourd’hui il pète un câble.
Première impression : « Qu’est-ce que je fous là ?? »
On m’a formé à reconnaître les signes d’un infarctus, d’un accident vasculaire cérébral, à gérer toutes sortes de chutes, plaies, brûlures… Par contre les cours de lutte et de Krav Maga ont dû m’échapper. On nous a bien parlé un peu de psychiatrie, mais rien de très poussé.
Seulement voilà, il faut bien faire quelque-chose, d’autant plus que nos deux hommes commencent à sérieusement fatiguer de devoir maintenir notre « victime » de toute leur force.
On prend donc le relais, mon collègue me montre comment bloquer les jambes pendant qu’il s’occupe de la partie supérieure de l’individu.
S’il vous plait monsieur
Deuxième impression : « Comment je vais faire pour prendre les constantes ? » «
Je suis jeune, naïf et formaté , je ne m’imagine pas rappeler le SAMU sans leur donner un bilan complet en bonne et due forme, avec la pression artérielle, le poul, la saturation, les traitements et antécédents médicaux…
Je fais quelques timides tentatives :
- « S’il vous plaît mon bon monsieur, auriez-vous l’extrême obligeance de vous calmer un instant et de me donner un de vos doigts pour que… »
Réaction du pauvre bougre :
- « Aaarghhh.. Raaa …lâches moi connard..aaahhrg… »
Bon, on laisse tomber les constantes alors.
Il faut que je rappelle le SAMU rapidement, un membre de la famille compose le 15 et me met le téléphone à l’oreille (je ne peux pas lâcher notre homme sous peine de me prendre un bon coup de genou entre les deux yeux).
Conversation confuse de plusieurs minutes :
- « Bonjour, c’est pour un bilan «
- « Aaargh… lâches moi connard…. Aaaaahhh!! »
- « Pardon ?? »
- « Non non c’est pas moi qui vous parle ! »
- « Allez tous vous faire enc****!! Raaaaaah ! »
- « J’appelle pour mon bilan, l’homme est très agité et…. »
- « Je vous emmmmeeerde !!! »
- « Pardon ?? »
- « Non non ce n’est pas pour vous ça toutes mes excuses, monsieur s’il vous plaît j’essaie juste d’app…. »
- « Ta gueuuullle ! »
- « Ok donnez-moi juste les constantes. »
- « Heeeuuu, pas réussi à les prendre désolé… »
- « J’vais tous vous crever !!! Lacheeeez moi ! »
- « On vous envoie la gendarmerie. »
La famille nous presse d’agir.
- « Faites-lui une piqûre !! » (nous n’avons ni le droit ni les compétences.)
- « Attachez le !! (la encore c’est interdit de notre propre initiative.)
Et comme une galère n’arrive jamais seule, quelqu’un rentre précipitamment dans la maison en criant :
- « On attaque votre ambulance, on lui lance des choses dessus !! »
On est dans un village, au bord d’une route départementale, bien loin des cités sensibles et des grandes villes.
Je m’attends donc à voir sortir la caméra cachée, avec tout le monde qui se fout de moi en voyant ma gueule décomposée, les confettis, le champagne et tralala…, notre victime qui se relève hilare et mon collègue dans la confidence.
Mais non… Rien de tout ça… On passe le relais du « plaquage » et on sort pour voir de quoi il retourne.
Une bande de gamins d’une douzaine d’années détale comme des lapins. Sûrement attirés par notre gyrophare bleu et l’agitation ambiante, ils bombardaient l’ambulance avec… des pommes de pins…
Moi qui me voyait déjà faisant la une du 20 heures filmé en train d’éviter des jets de canettes, cocktails molotovs, parpaings et autres projectiles, ou fuyant face à une horde de traficants de drogue armés de barres de fer, et bin c’est raté.
On retourne donc à nos affaires courantes et à notre patient, on se remet en place pour l’immobiliser. L’homme commence à fatiguer, il se débat moins.
Le miracle Gendarme
Arrivée de trois gendarmes qui ne connaissent que trop bien les lieux, et là, c’est le miracle de l’uniforme ! Dès que notre homme les aperçoit dans la maison il change aussitôt de comportement, se relâchant et se « détendant » enfin. Dans son regard la colère et la détermination laissent la place à une peur palpable, il est terrorisé. Visiblement ils se connaissent et leur passif respectif semble assez marquant pour que le patient s’en souvienne et cesse toute rébellion (je n’en saurais pas plus… peur de la garde à vue, de la prison, réminiscence d’un coup de taser mal placé, mystère).
On le relâche, il se relève tranquillement et file directement vers notre ambulance pour s’installer confortablement sur notre brancard. Les gendarmes décident tout de même de l’attacher par précaution et ils nous suivent jusqu’à l’hôpital. Le collègue se propose pour monter dans la cellule sanitaire, j’accepte volontiers et je prends donc le volant accompagné de notre belle escorte, avec un patient devenu doux comme un agneau. Ce jour-là j’ai compris que « faire du premier secours » s’annonçait beaucoup plus varié et mouvementé que je ne l’imaginais !