Des ambulanciers, une anecdotes peu commune
On dit que la vie est un long fleuve tranquille. Moi je dis la vie d’un ambulancier est tout sauf tranquille et prévisible tout comme de nombreux métiers de la santé et du soin. Nous sommes souvent confrontés à la détresse médicale tout comme la détresse sociale voire psychologique durant nos gardes pour le centre 15 (SAMU) ou les appels médecins.
C’est souvent l’occasion de découvrir des situations toujours assez inhabituelles. Très souvent ces mêmes situations rocambolesques surprennent mon entourage personnel quand je leur raconte mes dernières anecdotes. Celle qui va suivre fut assez mémorable dans son genre. Toute ressemblance avec des faits réels est possible c’est du vécu.
Mission SAMU pour les ambulanciers : Femme de 78 ans déshydratée
C’était une nuit en garde préfectorale. Le genre de nuit où tout arrive. Coup de téléphone de la régulation du 15 : « c’est le SAMU, on a besoin de vous à *** adresse *** pour une femme de 78 ans, déshydratée, dans ses urines (génial !) depuis quelques jours, qui présenterait un hématome à la hanche droite. Elle a été retrouvée totalement nue chez elle au sol. Un médecin est sur place. Elle se dit envoûtée etc. »
Là j’ai eu quelques secondes d’arrêt. Mon ARM qui reste stoïque mais qui se fend la gueule au moment où je lui demande de répéter sa dernière phrase. Oui il est très sérieux. Envoûtée. Bordel me vla parti pour une cérémonie vaudou et je ne suis pas équipé de pattes de poulet, ni de lapin. Me vla mal barré. Ma collègue, qui commençait sa première année en tant qu’ambulancière me demande ce qu’il se passe. Là grand moment. Oui il faut que je lui explique que là ça va être un très grand moment de solitude. J’essaie tant bien que mal de ne pas me marrer.
Ambualnciers, anecdotes : certaines situations sont… particulières
Il est quand même important de ne pas trop relativiser et lui expliquer que ce genre de situation même loufoque de par son thème, ne peut empêcher une prise en charge complexe. Les urgences supposées psychiatriques ne sont pas toujours marrantes loin s’en faut. Mais il peut aussi y a voir un bon moment à passer… ou pas. Mais une chose est sûre : s’attendre à tout car tout est possible.
Nous voilà parti, on démarre, les bleus, je connais l’adresse donc pas de souci le GPS peut continuer à faire sa sieste. 10 minutes de trajet après nous voilà sur place. Au beau milieu des constructions HLM des années 60 à chercher tant bien que mal le bâtiment trucmuche.
Et ici ils sont exotiques : ils possèdent tous des noms à coucher dehors (genre quand c’est pas les oiseaux c’est les fleurs ou autre, je précise que rien dans ces quartiers ne colle au thème en général). Et bien entendu rien de rationnel dans la manière de se repérer dans tous ces blocs. Un : faut le trouver, deux : faut trouver l’entrée, trois espérer que sur l’interphone le nom sera inscrit ET lisible ET l’interphone fonctionnel. J’adore les immeubles pour ça, c’est toujours un vrai défi.
Wouechtamère, l’ascenseur et les HLM
On trouve, on sonne, l’inimitable sonnerie de la porte qui se débloque m’explose les oreilles. Hop ascenseur pour les nains. On ne va pas se plaindre il y a un ascenseur. Certes on y tient à deux comme dans une cage à hamster mais ce n’est pas grave. J’adore les ascenseurs d’immeuble : toujours peu ragoutant, ça sent des odeurs assez étranges et néfastes pour mes fonctions olfactives.
Un artiste contemporain est passé par là laissant les vestiges de ses arabesques poétiques. Il est vrai que les niklapolice, tamèrenslip, vivemoi, juliettejtebaise reflètent une inspiration sans pareille. Un régal pour mes yeux fatigués. On sent l’âme de l’artiste.
Arrivés dans l’appartement : 3 personnes non identifiées et une quatrième au sol juste couverte pudiquement d’une couverture posée sur les épaules . Bon la dernière c’est la patiente c’est certain. Bonjour, blabla. Ok l’un est un voisin, les deux autres des amis toubibs. Très sympa au passage. La doctoresse me fait un état des lieux discrètement, avec le passif et le problème qui se pose. La petite dame fait une crise de démence, ne s’alimente plus depuis une semaine, le voisin les a appelés car il s’inquiétait beaucoup etc. etc.
J’explique comme à chaque fois aux médecins que je dois recommencer un bilan pour le 15 etc. Pas de soucis ils comprennent et ils vont rester nous aider (oui oui ils restent ! oh my god oui ça existe !). Je laisse ma collègue prendre les constantes. La petite dame silencieuse jusque-là nous hurle : « le guérisseur il me faut le guérisseur ! »
Le guérisseur, un hélicoptère, un duo d’ambulanciers
Ok ça commence bien cette affaire. Ma collègue tente de la rassurer, de la calmer et termine son bilan rapidement pour me transmettre les chiffres, fait un lésionnel (rien de dramatique à première vue).
Le guérisseur, le démon etc. On a droit à tout le discours incohérent au possible. Je me retiens de rire, reste sérieux et évite le regard de ma collègue pour ne pas exploser. Malgré tout le respect que j’ai pour mes patients et mon code d’éthique assez barré ce sont des situations quand même assez inhabituelles et qui ne peuvent que nous faire marrer. Désolé je préfère en rire. Tout le monde tente de la rassurer, de la calmer. Le but est de ramener le calme pour pouvoir s’occuper d’elle au mieux.
« Il faut le faire venir, je paye ! Faites le venir par hélicoptère ! »
« Madame, on va vous emmener à… »
« L’hélicoptère le guérisseur doit venir par hélicoptère, il n’a qu’à se poser sur le toit ! C’est moi qui paye de toute façon, j’ai le démon en moi, téléphonez lui vite »
Et là mon regard tombe sur la table où est déposé un dépliant de couleur bleue vif avec en grand sur la couverture :
Monsieur XXX, guérisseur spirituel. L’ordre du monde change, les difficultés s’accumulent, mais les forces divines ont toujours été là. Blabla.
Euh… J’appelle ma collègue et je lui montre. On se marre discrètement en se retenant car là on a pioché un joli numéro. Le mec là il nous vend du rêve !
Je l’ouvre et là c’est le baba ! La totale ! Son et lumière pour personnes en détresse et/ou fragile.
Soigne par prières, imposition des mains et : invocation des saint. (Bordel Jésus is back !). Quel est ton nom ? Christ, Jésus Christ !
On continue car c’est assez mémorable :
Puissant pouvoir occulte, traite les cas les plus difficiles en église… (oui oui tout à fait)
Médaillon personnalisé pour la prospérité, santé, réussite… (bref on croirait lire les vieux encarts des journaux de petites annonces où Mamadou, grand sorcier marabout te propose son médaillon en patte de poulet pour 50 euros censé te guérir de tous les maux le tout dans un encadré en gras bien visible dans la pages rencontre. Trop fort l’hôpital ne sert plus à rien, nous non plus allez on se casse…)
Je passe les détails sur l’élevage de poulets exorcisé, les pseudos témoignages de gens possédés et guéri bref c’est la totale. Ce mec-là est un Dieu ! Wouah il déchire sa maman.
Assurer une prise en charge au bon moment
Bon après cette petite page de pub improvisée et après discussion avec les toubibs et ma collègue; il faut réussir à la descendre en bas en douceur sans la braquer. Son état n’est pas dramatique mais il requiert une prise en charge médicale. Les premières tentatives s’annoncent complexes. Elle est très agitée et refuse en bloc qu’on s’occupe d’elle. Je passe le relais et j’envoie mon bilan.
Là on n’est pas là pour se marrer je reste sérieux même si une fois terminé je ne peux m’empêcher de remercier mon ARM pour l’originalité de la mission. Je lui dit juste que le guérisseur va arriver par hélico et sauver la petite dame par imposition des mains avant de raccrocher en le laissant mort de rire au bout du fil. Pas très professionnel tout ça mais je n’ai pas pu m’empêcher.
On dialogue avec notre petite dame qui mis à part cette petite crise est toute frêle et toute mignonne. On tente plusieurs approches, on prépare la chaise et d’un coup elle se décide. Ce moment il ne faut pas le rater car une fois que le patient décide d’y aller il faut se bouger pour le prendre en charge. Nombreuses sont les fois où ce moment loupé il change d’avis et retourne se prostrer en refusant de venir. La longueur de l’intervention s’allonge alors jusqu’à la fin des négociations. Et on recommence à nouveau le processus jusqu’à ce qu’il accepte de son propre chef.
Moi, mon mètre quatre-vingt, la chaise, la patiente, on se rentre dans l’ascenseur. Enfin traduction on essaye. Je me plie en quatre, m’écrase au fond. On descend, la dame est bien couverte pour la réchauffer. Son état de santé n’est pas préoccupant mais une prise en charge médicale est nécessaire au vu de son état physique et une évaluation gérontologique et/ou psychologique sera sûrement demandée. Je ne suis pas médecin mais on commence à bien connaitre le système pour savoir ce qui va se passer.
Une fois en bas direction l’ambulance. Chaque minute compte pour éviter une éventuelle crise de la part de la patiente. Le credo : tant que c’est calme il faut avancer. A tout moment ce genre de situation peut exploser : agitation, violence, cri etc. On ne peut jamais prévoir à l’avance. Notre petite dame semble avoir recouvré ses esprits : plus de guérisseur, plus d’hélicoptère.
Ma collègue la rassure, lui explique ce qui va se passer (NA : les urgences, l’examen médical etc) pour qu’elle ne s’inquiète pas. Je remercie chaleureusement les deux toubibs restés sur place pendant toute la durée de l’intervention. Sans eux je n’ose pas imaginer la difficulté. Ils nous ont été d’une aide indispensable.
On va pt’et y’aller hein !
Bon c’est pas tout mais le froid est saisissant et je n’ai pas l’intention de trainer dans les parages. On repart direction les urgences dans un calme plat et sans soucis. On dépose notre « jeune » demoiselle de 78 printemps sur un brancard après avoir transmis les informations discrètement à l’infirmière à l’accueil. La mission est terminée mais une chose est sûre elle restera gravée longtemps dans nos esprits. Certes c’est une situation humaine dramatique mais dans le métier de la santé on voit tellement de choses difficiles qu’on essaie parfois aussi de prendre certaines choses à la légère.
On aura ramené avec nous une anecdote sans pareille qui fera marrer les collègues à la fin de nos nuits. Une chose est certaine : ce métier est dur mais il reste quand même unique en son genre. Rentré à la maison au lieu d’aller sagement dormir j’ai fait une recherche sur monsieur le guérisseur qui possède des pouvoirs divins et qui te soigne mieux que la médecine.
Vu ce que j’en ai lu il semble être homme à succès au vu de ce que j’en lis (presse, etc). Pardonnez-moi mais je reste quelqu’un de très terre à terre et je ne peux m’empêcher de sourire à la lecture de tout ça. Peut-être qu’un jour moi aussi quand la médecine aura rendu l’âme je m’adresserais à Mamadou grand guérisseur pour qu’il me fabrique un gri-gri…