L’ambulancier : quand le management détruit les professionnels

par | 2, Déc 2022 | Les billets d'humeur de l'ambulancier

Me revoilà devant ma feuille blanche avec une idée d’article sur le management. Malgré l’arrêt de ma carrière, je reste imprégné par ce milieu et surtout je reste connecté par les collègues survivants qui me donnent des nouvelles de temps à autres.

Ce qui va suivre, est comme d’habitude, ma vision des choses et surtout mon expérience. Et oui après 22 ans de bons et loyaux services, j’ai pu vivre beaucoup de situation de management diverses et variées. En aucun cas je ne ferais une généralité de quoi que ce soit. C4est juste l’expression de mon ressenti, de mon vécu, de mon expérience passée.

Le management des ambulanciers

Pour moi, le management est une des pièces maîtresses de la vie d’entreprise, surtout à l’heure actuelle où la pénurie de personnel est croissante et que les entreprises peinent à recruter. Je suis toujours intrigué par le comportement de nombreux patrons dans le management de leur entreprise.

Au début de ma carrière, jeune, maigre et innocent j’étais plein d’espoir pour ce métier et surtout je ne connaissais pas mes droits et les nombreux textes qui entouraient notre profession. Je pense que cette ignorance et cette motivation est surexploitée par de nombreux dirigeants. On a tous nos histoires de chasseurs et notre passif. Malheureusement je vais être obligé d’étayer mes arguments par des histoires personnelles vécues.

Illégalité quand tu nous tiens

La première qui me choque (avec mon regard de maintenant) c’est toutes les nombreuses choses illégales qu’on faisait et que tout le monde faisait sans le savoir. Les heures à rallonge sans pause repas, les binômes composés d’un stagiaire ANPE, les gardes dans des garages sans lits, sans cuisine…

Et au fil du temps et grâce à des vraies plate-forme d’échange, oui pour les plus jeunes on appelait ça des forums et il n’y avait pas de selfions mais des vraies discussions sur les textes, sur le quotidien, sur des projets, bref le paradis des passionnés d’ambulance. Du coup, fort de mes nombreux posts sur SOS 112, je me présente en tant que délégué du personnel (DP) et là ce fut le début de la fin.

L’entreprise où j’étais à l’époque, comptait 60 salariés avec un âge moyen inférieur à 30 ans donc une équipe jeune et dynamique qui en voulait. Et là ce fut le drame lors des réunions. On ne parlait plus de patient, mais de client, plus de mission mais de rentabilité et les réunions étaient devenues une véritable arène de combat.

Un exemple marquant : le patron de l’époque m’interrompt sur une question (vu mon âge je ne me rappelle plus le sujet initial veuillez m’en excuser) pour me dire : « Tu sais Nico, tu me rapporte 1€ par jour… » et là je rétorque : « très bien chef, du coup j’irais pisser dehors contre le grillage pour ne pas te coûter trop cher en flotte » et je pris la fuite de cette réunion nauséabonde. Comment peut-on avoir l’envie de s’investir suite à ce genre de propos ?

Se moquer ?

Allez ne craquer pas maintenant, il me reste deux trois anecdotes. Une qui me vient, c’est l’annonce en cours d’année de notre direction de la mise en place de la prime d’intéressement. Alors là, je vous dis qu’on est parti à Super U acheter de la 33 Export pour arroser cela. Sauf que le lendemain de cuite fut plus dur que prévu… Puisqu’on nous a verser 16€….

Alors certes c’est le début, MAIS oui un grand mais. Quand on voit lors des réunions de délégués que cette même direction a créé une holding qui fait beaucoup, beaucoup et beaucoup plus de chiffre d’affaires que l’entreprise elle-même on se dit : « bah merde alors, on ne se moquerait pas de nous un peu par hasard ? » Encore une fois, quel avenir dans cette entreprise ?

Tapes dans une poubelle, quatre ambulanciers en sortent

Et je ne parle pas des « punitions cachées » infligées à certaines grandes gueules. Comme du VSL quotidien, des binômes séparés, des missions tard le soir, des week-ends plus fréquents que ses petits camarades. Le tout distillé pour faire le ménage et se séparer sans frais de certains salariés. A l’époque c’était des pratiques très fréquentes et dans de nombreuses entreprises.

Et ils pouvaient se le permettre car selon les propos d’un dirigeant : « je donne un coup de pied dans la poubelle du coin et j’ai quatre ambulanciers qui en sortent pour travailler chez moi » et les « ho moi tu sais, du moment qu’ils savent tourner la clef dans le camion, le reste je m’en fou ».

L’arrivée des groupes

Promis, ça sera le dernier paragraphe négatif, car oui il va y avoir du positif. Les temps changent et les entreprises aussi. L’époque des gros groupes arrive et ces derniers rachètent de nombreuses petites entreprises qui finissent pat prendre peur. La gestion de ces entités devient du pur management par des femmes et des hommes qui n’ont jamais mis un pied dans une ambulance.

Et pourtant on pouvait voir à l’époque de nombreuses décisions absurdes comme retirer les MID des petits volumes car après avoir étudié les textes, certains chefs d’entreprise ont très vite observé que rien ne les obligeaient à posséder ce genre de matériel. Imaginez les économies de bouts de chandelles réalisées sur le dos des patients ?

Du coup on pouvait voir des victimes en décubitus dorsal avec un collier cervical sur un brancard simple, voilà voilà… Mais on pouvait voir aussi des missions urgentes pour des coliques néphrétiques envoyées sur les PDA avec un message de pause 20 minutes avant de réaliser cette même mission…

La course à la rentabilité n’est pas une solution en soi

Où est devenu la priorité ? On a vu aussi un groupe, qui avait racheté une entreprise familiale, envoyer des courriers aux patients historiques (dialyses, kiné..) pour leur signifier qu’ils n’allaient plus les prendre en charge car je cite : la « course » n’est plus rentable pour la nouvelle politique du groupe. Des biens pensants qui n’ont aucune notion du quotidien d’un « chauffeur ». Oui tout à fait les nouveaux termes employés par ces gens comme course, client, camion…

Malheureusement je pense qu’il faudrait faire l’inverse : mettre des ambulanciers de terrain avec une certaine ancienneté à des postes stratégiques de l’entreprise. Comme régulateur, responsable de site. Des professionnels qui savent et qui connaissent les petites spécificités des véhicules, des établissements, de la patientèle, de l’état des routes…

Bah oui quand on envoie une sortie d’hospit sur les heures de repas du personnel de l’hôpital, tu peux te dire que tous les ascenseurs sont bondés et que ça va être galère pour en trouver un vide. Lorsqu’on t’envoie une sortie sans préciser la chambre, sans étage, sans service…sur un CHU à 9 étages avec 4 ailes par étage…

Motiver les équipes c’est renforcer la professionnalisation

Cela laisse pas mal de possibilités et du temps potentiellement perdu à chercher pour rien. Et comment motiver une équipe et surtout avoir du respect pour un responsable qui n’y connaît rien à ton métier ? Est-ce que toutes ces attitudes vont fidéliser une équipe ? Apparemment on me dit dans l’oreillette que certains groupes changent enfin leur politique. Mais c’est très bien, sauf que leurs entreprises sont à l’heure actuelle : vide. Elles n’ont plus d’ADE pour faire rouler les ambulances. Les écoles d’ambulanciers peinent à recruter de nouveaux élèves.

Des chefs d’entreprises qui se dédient à leurs équipes

Alors oui heureusement il y a des entreprises et même des franchisés de groupes qui sont voués à leurs équipes, à l’évolution du métier et au respect de leur patientèle. Je ne pourrais pas les citer, mais beaucoup d’entre vous les connaisse. Et oui car la réputation dans ce milieu va vite, très vite. Donc autant on connaît les mauvais, mais autant certaines entreprises font rêver voire fantasmer. Attention au fantasme car certains vieillissent très mal…

J’ai pu échanger avec des chefs d’entreprise qui investissent dans des chaussures de travail, dans des fauteuils massant, dans des véhicules ergonomiques, confortables pour l’ambulancier mais aussi pour les patients. Tout comme pour les brancards ou les suspensions des ambulances.

Tout à un coût. Avec une qualité bonne comme …relative, surtout dans le milieu médical. Vous voyez bien la différence entre un brancard jaune fluo qui commence par un K, où la moindre manipulation fait craindre un affaissement dudit brancard avec un matelas épais comme une feuille de papier à cigarette. Ce même matelas provoquant des « ouille » et des « aïe » du patient à la moindre bosse.

Certes toutes les entreprises ne peuvent pas investir dans du Striker Powerload, mais entre ces deux modèles, il existe plusieurs alternatives : robustes, ergonomiques et confortables et tout aussi abordables. Il y a aussi les goûts et les couleurs et les habitudes de chacun, je ne pourrais généraliser sur ce genre de sujet mais à un moment donné : l’économie use l’ambulancier qui gère le patient : son confort, sa sécurité et… ses humeurs.

Etre chef d’entreprise : tout sauf facile

Maintenant et je suis totalement conscient des difficultés d’être chef d’entreprise et de gérer une équipe. J’ai beaucoup de respect pour celles et ceux qui respectent leurs équipes et leurs patients, qui font un boulot monstre pour faire avancer leur structure. Comme je disais au début, le management est une pièce maîtresse dans la vie d’une entreprise et le fait d’inclure les équipes dans les projets ou dans la vie de l’entreprise apporte de la confiance, de l’investissement des équipes, du professionnalisme au quotidien…

Et du coup on trouve alors une entreprise saine et qui donne envie. Il est facile d’écrire tout cela. Je le reconnais, je je reste dans mon monde de Bisounours et je préfère celui-ci que ce monde nauséabond du capitalisme à faire du profit à tout prix en laissant ses salariés et ses patients au bord de la route.

Je ne crois plus en ce métier et je pense que je ne suis pas le seul au vu des pénuries importantes de personnel. Ce métier n’attire plus. Est-ce toutes ces années passées à courir derrière le profit ? Est-ce les politiques agressives de certaines structures ? Est-ce l’irrespect, le manque de confiance qui s’est installé et qui est maintenant ancré dans la tête de certains d’entre nous ?

Je pense que le mauvais management est en partie responsable de l’état actuel de notre corporation. Les ambulanciers sont épuisés, écœurés et fatigués de ne pas être reconnus à leur juste valeur ou tout simplement par leur implication quotidienne dans ce métier compliqué. En tout cas il est dur de se reconstruire après avoir vécu des années dans un management injuste et irrespectueux.

Une lueur d’espoir dans l’apparition de ce nouveau décret relatif à la formation des ambulanciers.

La formation avec une sélection plus drastique peut être une des solutions, mais restons vigilant et espérons que beaucoup prennent leur responsabilité et changent leurs façons de faire.

e3f9bb73493ef3b65c5f1c787bcf76e9 Ambulancier : le site de référence L'ambulancier : quand le management détruit les professionnels

Nicolas Dejoie

Nicolas DEJOIE ambulancier diplômé d’état depuis 2001 (le CCA à cette époque) il obtient le PHTLS en 2011, la spécialisation en transport sanitaire pédiatrique en 2012. Depuis 2014, il évolue chez Assistance Ambulance Nantes.

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