Les ambulanciers qui font toujours comme ça
Aujourd’hui petit billet d’humeur sur une tendance qui m’a toujours agacé. Oui c’est quelque chose qui existe dans tous les domaines notamment chez les ambulanciers : « Oui mais moi j’ai toujours fait comme ça ».
Je sais que je ne vais pas m’attirer une foultitude de compliments en abordant ce sujet mais il est bon ton d’aborder aussi des sujets qui fâchent et de les mettre en avant. Pourquoi ? Tout simplement pour faire avancer les choses et amener chacun à une réflexion sur la manière de changer les choses. Ou pas tout est une question de point de vue.
Je rédige ce billet suite à lecture d’une conversation sur « Oui ben moi ça fait 15 ans que je fais de l’ambulance et j’ai toujours fait comme ça et ce n’est pas pour ça que je suis moins bon que toi ». Je passerais les détails de la conversation et les tenants et aboutissant. Je vais juste me contenter de mettre le sujet sur la table. A chacun d’aborder ce thème avec son équipe pour trouver des pistes intéressantes pour faire changer ça. Je n’ai nulle prétention de détenir le savoir ultime. Mais je remets mon savoir en question pour essayer d’être encore meilleur chaque jour.
L’ambulancier et ses pratiques
L’ambulancier comme tout corps de métier a subi des évolutions, des améliorations. Méthodologie de travail, évolution des techniques de secours à personne, lutte contre les troubles musculo squelettiques, évolution du code de la route, progression dans les normes appliquées aux véhicules de transport sanitaire. La liste sera bien trop exhaustive. Ce métier a donc malgré le fait que j’estime qu’il gît dans un relatif immobilisme, évolué. Mais est-ce bien le métier qui a évolué ou un ensemble au complet c’est-à-dire la profession et ses professionnels. Il est intéressant de voir que l’évolution n’a pas forcément subi un équilibre entre les deux parties.
Oui mais j’ai appris comme ça
Le problème qui m’amène ce jour c’est la phrase qui me fait bondir chez certains collègues : oui mais moi j’ai toujours fait comme ça. Traduisons clairement les choses dites au travers de cette phrase : c’est un fait, j’ai assimilé ces informations et techniques et je n’ai pas l’intention de faire évoluer ma manière d’agir, de faire. Je reste campé sur des acquis moyenâgeux et je n’ai nullement l’intention de faire changer ma pratique. Waw ça existe encore ?
Il semblerait en effet que ce comportement subsiste à divers degrés et nous impacte tous, moi y compris. Généralité ? Non sûrement pas puisque ce n’est pas un mode de pensée global. Certains ont cette réflexion sur le moment mais restent ouvert à l’évolution après une discussion, un événement, une prise en charge, une prise de conscience. D’autres ont déjà évolué au contact d’autres collègues. Ou tout simplement ont questionné des jeunes diplômés ou stagiaire sur les nouvelles manières de faire.
Oui faire évoluer quelqu’un c’est aussi lui ouvrir l’esprit, lui donner envie. Il est tout à fait compréhensible que passé un certain cap dans son quotidien professionnel on est coincé dans un carcan rassurant : je pratique donc je suis efficace. Ce que je fais je le fais bien depuis des années donc pourquoi changer ?
Pourquoi évoluer si ça ne sert à rien, la nécessité par l’exemple
La question à amener sur ce type de problème c’est : quel est l’apport de nouveaux savoirs ? Donner envie à l’autre de sortir de ce carcan confortable pour se risquer hors de sa zone de confiance. Je prends un exemple : je sors le brancard cuillère avec une collègue expérimentée. Ce type de brancard a été imposé suite à l’évolution des normes EN 1789 pour l’équipement des ambulances de type ASSU. Problème les personnels formés avant cette norme ne connaissaient que peu ou prou cet équipement et son utilité réelle. On m’a bien amené l’argument : bof ça sert juste pour les sorties de corps (ndlr funéraire).
Donc pourquoi s’en servir on savait très bien travailler sans avant donc inutile d’inclure ce matériel. Sauf que quand un jeune collègue propose d’expliquer à quel point cet équipement peut se révéler utile ça change la donne. Et une démonstration sur le terrain avec une situation bien casse-tête comme un col sur personne âgée coincée dans un endroit improbable, algique. Et que la prise en charge avec ce matériel facilite les choses, et oui ça ouvre les yeux. Surtout avec une collègue qui souhaite progresser.
Passer du système D à une situation où magie le matériel résout une grosse partie du problème ça aide : patient sécurisé, déplacement facilité, extraction facilitée. On montre, on explique et on met en œuvre ensemble. Tout simplement. Désormais ma collègue sait comment optimiser ses gestes avec l’utilisation de ce type de brancard.
Et oui comme je le disais tout à l’heure certains conservent une envie d’évoluer, d’apprendre, de progresser et d’assimiler de nouveaux acquis et techniques. Et en quelques minutes on démontre et apprend que cet équipement possède des avantages incroyables pour le patient en terme de protection, de confort, de qualité d’extraction mais aussi cerise sur le gâteau en protection de l’équipage en terme de troubles musculo-squelettiques immédiat ou à posteriori.
On se retrouve avec un binôme qui a évolué : le plus expérimenté continue d’apprendre de nouveaux savoirs tout en continuant de former le moins expérimenté avec ses connaissances du terrain. La complémentarité.
Évoluer c’est sauver
Évoluer c’est aussi sauver. Sauver des vies, mais aussi sauver sa propre personne. Si les techniques évoluent, elles évoluent aussi pour protéger les professionnels. Les protéger des troubles dus à la pratique pour rester en forme et ne pas se blesser. Mais aussi protéger les personnes dont on s’occupe.
Certes en 19xx on transportait une maman et son petit de 2 ans sur un brancard comme ça sans sécurité appropriée. Aujourd’hui l’évolution fait que l’enfant est dans le harnais pédiatrique sur le brancard et maman à côté sur le siège accompagnateur voire à l’avant du véhicule, avec sa ceinture de sécurité. Tout comme un patient adulte doit être muni du harnais de sécurité sur le brancard. C’est une évolution en terme de sécurité du transport. Et une réelle obligation.
En cas d’accident la solution du « j’ai toujours fait comme ça » risque fort de coûter cher à l’ambulancier si il n’applique pas ces nouvelles règles. Donc les règles évoluent et il faut évoluer avec les règles. Pour se protéger, protéger son équipage, protéger son patient et protéger les autres. C’est un exemple parmi d’autres mais qui a pour but d’alerter !
Le recyclage bien trop court
Le problème à mon avis demeure la durée du recyclage des ambulanciers. Certes chacun trouvera à se former auprès de ses jeunes collègues sortis d’école, via des formations dispensées au sein de l’entreprise (pour les rares entreprises capable de réfléchir à l’importance de ces formations). Mais le cas n’est pas viable pour tous : question de temps, question de mentalité, question de génération. Le recyclage obligatoire de l’ambulancier l’amènera donc forcément à remettre ses acquis à jour.
Oui certes mais sur des grands sujets : RCP, évaluation clinique etc. Mais le problème qui demeure c’est être aussi recyclé sur les nouveaux matériels, les nouvelles techniques, les nouvelles obligations. Et la durée légale du recyclage ne permet pas de prendre suffisamment de temps pour faire face à l’ensemble. Il faudrait plus de temps ou des formations plus régulières sur le temps.
Le travail d’équipe
C’est pour ça qu’à défaut de durée de recyclage ou de formations dispensées en interne il faut que l’équipe communique et apprenne à tirer profit des connaissances des jeunes diplômés. Se tenir informé de l’évolution, des changements. S’intéresser aux matériels acquis et non pas se contenter de les ranger dans l’ambulance et de les laisser prendre la poussière.
Une obligation d’avoir un matériel est aussi une obligation d’apprendre à s’en servir. Remettre en question une technique qui a évoluée. Sauver des vies mais aussi se sauver soi-même. Vivre dans le passé c’est bien mais apprendre à évoluer avec son temps c’est mieux.
Est-ce une condamnation gratuite des personnes qui se sont dans ce cas ? Nullement c’est avant tout une condamnation des aberrations du système. Il empêche en effet d’équilibrer de façon plus qualitative la remise à niveau de la population des ambulanciers. Je dis avant tout qu’elle pourrait gagner en efficience. Et c’est valable aussi pour les plus jeunes. Certains sortent d’école mais oublient tellement vite leurs acquis qu’ils en deviendraient dangereux.
C’est aussi un message à l’intention de tous : conservez un esprit ouvert ! La remise en question de vos connaissances doit être perpétuelle. Ne restez pas figé dans votre apprentissage. Le savoir est une valeur inestimable. Même si vous êtes expérimenté, bourré de savoir, de connaissances vous n’êtes pas infaillible.
Chacun a toujours quelque chose à apprendre et ce n’est pas parce que vous avez appris de cette manière qu’il n’existe pas d’autres façons de faire, de nouvelles méthodes.