Article 80 et manifs
Comme chacun a pu le constater de très près, voire de très loin, l’actualité est assez chaude en ce moment. La faute, si on peut qualifier de faute (tout sera après une question de perception personnelle) à des mouvements de grogne sociale. Que ce soient les gilets jaunes, les agriculteurs, les routiers ou même les ambulanciers. Et c’est ce dernier sujet que je vais aborder.
Je vais l’aborder mais ne vous attendez pas à une prise de partie ou même à une liste de revendications. Le site est, et restera avant tout, un outil d’information totalement neutre. Je ne suis pas chef d’entreprise et je n’ai pas de revendication ni de demandes à l’heure actuelle, je ne relate que des faits. En revanche, je vais essayer de vous faire comprendre dans les grandes lignes les motifs de cette grogne, et pourquoi ces récentes évolutions législatives risqueraient de mettre à mal une partie des entreprises.
L’article 80
Que dit l’article 80 ? Je vous fais juste un copier-coller de l’introduction :
« Cette mesure, qui entre en vigueur au 1er octobre 2018, a pour objectif d’unifier les modalités de prise en charge des dépenses de transports inter et intra-hospitaliers et de préciser les règles concernant la prise en charge des transports des patients bénéficiant de permissions de sortie.
Aujourd’hui, les transports de patients entre établissements sont financés d’une part, par l’enveloppe des soins de ville (transferts provisoires pour la réalisation d’une séance de chimiothérapie, de dialyse ou de radiothérapie / transferts définitifs entre deux entités juridiques) et d’autre part, par le budget des établissements de santé (transfert provisoires hors séances / transfert entre deux entités géographiques d’une même entité juridique).
La réforme prévoit de confier aux seuls établissements de santé la responsabilité du financement de l’ensemble de ces transports, inter et intra hospitaliers. Les bénéfices attendus de cette mesure sont les suivants :
- inciter les établissements à structurer l’organisation de la commande de transport, fondée sur la prescription médicale ;
- favoriser une meilleure adéquation entre le mode de transport et l’état de santé du patient. »
Qu’est-ce que cela veut dire
Jusqu’à ce jour, les établissements de santé prescrivaient les transports sanitaires prévus pour différents cas de figures, comme expliqué plus haut. Ces transports étaient financés non pas par les hôpitaux mais par les Agences Régionales de Santé (ARS) etc. via des budgets définis. Désormais le budget en question va devoir être supporté par les structures hospitalières. Pour maîtriser ce budget dans une époque de grosses difficultés financières des hôpitaux, les établissements sont dans l’obligation de travailler sur un modèle économique rentable. On en revient à une gestion d’entreprise.
Des marchés publics
En effet, pour être en mesure de ne pas être pris en défaut et pour respecter la législation, les structures hospitalières publiques ne peuvent travailler avec une entreprise de leur choix. Ce serait anti concurrentiel. Donc, il va falloir créer des appels d’offres afin de permettre à chaque entreprise de candidater et de remporter ce marché. Logique, on met tout le monde sur un pied d’égalité en termes d’accession à la réponse de l’appel d’offre. On ne peut donc empêcher personne de répondre.
Appels d’offres dit attractivité des prix
Forcément, comme dans toute logique commerciale, puisque là nous ne parlons plus d’autre chose, il va falloir (pour remporter le marché) se révéler le moins cher possible. Chose normale, vous disposez d’un budget serré, vous faites appel à un artisan, les trois quarts vont aller chercher celui qui saura proposer la meilleure offre tarifaire. Nous en sommes tous rendu là.
Et souvent au détriment de la qualité, mais c’est un autre débat et je m’écarte du sujet. Quoique pas forcément puisque c’est une des variables. Chacun va donc essayer de vouloir répondre aux critères du marché : disponibilité, nombre de transport/jour, type de transport, délai de réponse etc.
On appelle ça un cahier des charges. Chaque postulant doit étudier ce cahier et doit s’engager à répondre à ce cahier point par point. Le contraire entraînera l’impossibilité de déposer sa candidature. Et souvent un des points à ajouter au cahier des charges, ce sont les tarifs…
Pourquoi avoir peur de ces tarifs
A l’heure actuelle nombre d’entreprises sont constituées d’une foule d’artisans. Je parle de TPE ou Très Petites Entreprises. Avec aux commandes juste la famille du gérant voire quelques salariés. Par exemple une autorisation pour l’ambulance, deux VSL, un taxi. Point. Nous sommes loin d’avoir en France un schéma d’entreprises de transport sanitaire constitué de grandes flottes d’ambulances. Mais la tendance commence à changer.
En effet diverses organisations commerciales viennent s’engouffrer dans le système. Des organisations avec une solidité financière plus importante que le petit artisan du coin. Ces organisations disposent de partenariats et de références solides. Elles ont réussi à s’intégrer au marché en rachetant petit à petit des petites entreprises pour les regrouper sous une enseigne unique. Je précise que tout cela reste dans le cadre légal. Je ne fais que simplifier grossièrement les choses.
Le problème
Le problème, ou tout du moins l’un des problèmes qui a amené les ambulanciers à prendre place dans la rue, c’est que l’article 80 aurait tendance à favoriser l’accès aux marchés publics proposés par les structures hospitalières publiques aux grands groupes.
En effet les arguments avancés sont que ces groupes ont une solidité qui leur permet de pouvoir proposer une tarification plus basse et donc plus attractive pour remporter le marché. On ne parle pas de favoritisme.
Les structures répondent de façon légale aux offres proposées. Mais en choisissant forcément la viabilité la plus économique pour sauvegarder leur budget transport. Car attention les tarifs de la sécurité sociale ne rentrent pas en compte comme pour ces transports.
Asphyxie des TPE
Les petites entreprises ne peuvent donc s’aligner en termes de tarif sous peine d’asphyxier leurs bilans financiers. Et oui il faut être en mesure de pouvoir aussi assumer charges et dépenses tout en étant rentable. Ce qui est déjà très compliqué à l’heure actuelle. C’est donc pour certains une condamnation à court terme au vu de l’investissement pour la création d’entreprise. En effet le « rachat » d’autorisation représente pour des très petites entreprises une somme assez colossale. Ajoutez le coût d’un salarié (coût comptable j’entends) vis-à-vis de l’état et on a vite fait de plomber un bilan annuel.
Comment envisager l’avenir
L’avenir est complexe et difficile à visualiser. Je laisse le soin aux organisations patronales et chefs d’entreprises le soin d’y répondre. Je ne peux apporter une réponse viable, il existe trop de paramètres à prendre en compte et je ne dispose pas de tous les éléments.
La solution est avant tout le dialogue avec les instances pour trouver une issue à ce problème. Ce problème ne pourra être réglé que si les organisations patronales s’unissent pour engager un dialogue et parler un même langage. Je parle de dialogue et je condamne les violences, injures et autres moyens inadaptés.
Être soignant, c’est déjà se comporter comme tel. Il y a des comportements qui ne devraient pas exister. Et je parle là de certains chefs d’entreprises qui ont donné une image assez dégradante du métier durant les manifestations, et ce, au détriment des autres. Bien entendu les comportements de certains ne reflètent pas l’attitude d’une majorité.
En conclusion, ma vision des choses :
Si j’avais quelque chose à avancer en dehors de cette problématique, ce serait de voir les entreprises évoluer d’abord en matière d’éthique et d’équipements. Je vois encore, et ce au quotidien, des entreprises qui ont des véhicules -comme du matériel- d’une vétusté à pleurer.
Des ambulances de petit volumes qui vont aller faire une urgence avec des équipements dépassés, des tenues inadaptées en matière de sécurité comme d’hygiène (je parle autant de comportement, que de technique, de matériel, de propos, etc). Bien moins qu’avant, certes, mais il y en a encore beaucoup trop. Qu’on ne vienne pas me dire que c’est à cause d’une faible rentabilité.
Il y a de très jeunes chefs d’entreprises qui démontrent que ce n’est pas ça le problème, et qu’ils sont en mesure de coller à cette éthique et de s’en sortir. Et puis, investir dans l’image et la présentation de son entreprise, n’est-ce pas la le début d’une bonne réussite commerciale ?
Se comporter comme des professionnels
Pour apporter de la légitimité et surtout se faire respecter en tant que professionnel de santé et pour être pris en considération, il faudrait d’abord que chacun se comporte comme tel et agisse comme tel. Pas un professionnel seul, bien sûr, mais l’ensemble de la profession.
Comme l’a si bien dit Patrick Youx (Assistance Ambulance à Nantes) : « la profession aurait pu évoluer en 1986 et en 2003 » mais certains syndicats patronaux ont refusé de voir l’évolution pour des raisons qui sont peu glorieuses. Sans oublier le désastreux épisode de la convention AMU (j’ai visionné les auditions des syndicats d’ambulanciers, c’était d’une affliction peu commune).
A chaque virage important où la profession aurait pu s’imposer et s’intégrer comme maillon essentiel, l’absence aux rendez-vous important avec les instances et la logique financière sont passés avant tout.
Des doléances à écouter
Cet article 80 est, je le reconnais, une forme de suicide pour les petites et moyennes entreprises. Il faudrait vraiment que le gouvernement puisse écouter leurs doléances, mais aussi et surtout trouver un moyen de rendre un équilibre pour préserver les artisans en échange d’une évolution qualitative réelle du métier. Le risque, à terme, j’en ai peur, c’est d’avoir un ensemble de groupes commerciaux qui n’apporteront pas la même vision du métier que nous avons et privilégieront la rentabilité pure.
Nous disposons de professionnels fantastiques, j’ai présenté, entre autre, sur ce site, des entreprises dynamiques et hautement investies dans la profession qui représentent justement cet avenir. Il faut préserver ces entreprises !
Car je ne l’oublie pas et c’est ce qui reste encore motivant, ce sont les chefs d’entreprises, les vrais, ceux qui ont une éthique véritable et non pas ceux à la recherche primordiale de la rentabilité à plein régime avant la qualité de prise en charge du patient.
Un Chef d’entreprise doit être avant tout un ambulancier, pas un financier, et le patient (et je dis bien le patient, et non le client) doit rester au centre de tout débat, toute priorité.