Intervention – En chier avec dudul

par | 7, Fév 2012 | Chroniques d'un ambulancier

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Bon allez merde ! Aujourd’hui c’est dimanche, l’actu me déprime, et les cons aussi ! Alors on va rester dans le “light”, et dans la neige. J’m’en vais te raconter un truc de malade ! Accroche-toi à ton slip !

Une intervention qui restera dans les annales

Je ne vais pas te faire le détail de ma rencontre avec Dudul, ni même t’expliquer pourquoi ce surnom affectueux lui a été attribué… Si tu es cortiqué, tu feras de toi-même le lien. Sinon, gratte-toi. L’intervention qu’on a vécu ce matin-là est quand même digne de figurer dans des annales quelconques, alors autant que ce soit ici… Par un beau matin d’hiver ensoleillé – Viens-en au fait, Jean !

Un matin beau. Soleil beaucoup… C’est ça que tu veux ? Bon alors merde ! Ce matin-là de l’hiver dernier, particulièrement long et rude avec beaucoup de neige dans cette partie du massif des Hautes-Vosges mais côté Alsacien, on avait été requis par,… alors là je sais plus si c’est un toubib du cru qui avait appelé en direct, ou s’il avait transité par la régule du SAMU Centre 15…

Homme 80 ans, pour la réa cardio

En tous cas on avait été requis pour évacuer sans délai un homme d’environ 80 ans vers la réa cardio de l’Hôpital Albert Schweitzer au motif de douleurs thoraciques chez sujet triple-ponté avec des antécédents de TACFA (Tachy-Arythmie Cardiaque par Fibrillation Auriculaire) et autres problèmes de palpitant… Forcément dans ces cas-là, on ne perd jamais de temps et on se dit qu’une convergence avec le SMUR doit rester une option sur le feu !

Un chemin… enneigé et deux ambulanciers

Le chalet de ce monsieur se trouvant à tout juste deux kilomètres en amont dans la vallée, les routes étant dégagées, on a parcouru la distance en moins de temps qu’il ne t’en faut pour éternuer… Arrivés devant la grille de fer forgé ouverte marquant l’entrée de la propriété, on s’est avancés sur le chemin. Juste quelques mètres, le temps de se rendre compte que le chemin menant au chalet (environ 200 mètres) était enneigé, verglacé, casse-gueule, craignos, pourri-moisi.
Bref, un putain d’écueil !

Et bien sûr, les chaînes étaient restées à la base… Alors que d’habitude elles sont toujours dans l’ASSU: de novembre à mars. Invariablement !

  • Dudul enquille vite fait:
  • Prends le sac d’inter et file bilanter le mec. Moi je retourne à la base chercher les chaînes et je te rejoins. Grouille !
  • Ok Boss !
  • Oui, Dudul, c’est mon Boss.

Je saute à terre (enfin, à neige), je chope notre Boscarol rouge plein de tout ce qu’il faut pour une évaluation clinique complète, et je me mets à cavaler sur la neige verglacée. Je courais comme un cinglé et oh, je devais bien faire des pointes à 2 km/h, toujours à la limite de me casser la mâchoire, sac sur le dos, bras étendus à l’horizontale pour ne pas perdre l’équilibre, mes rangers tentant vaillamment de s’accrocher à la glace – c’est des ventouses aux pieds qu’il m’aurait fallu, bordel de merde !

J’avais l’impression d’être Philippe Candeloro se préparant à faire un triple axel, sauf que je ne portais pas de costume de fiotte moule-burne. Arrivant tant bien que mal au chalet, après des sprints de fou à 2km/h, j’étais déjà en nage ! Et je priais in petto pour que Dudul n’ait pas eu la mauvaise idée d’aller faire un bonhomme de neige dans les prés !

J’arrive au chevet du monsieur, pas bien, essoufflé – lui aussi, mais pas pour les mêmes raisons – et aussitôt les présentations faites, je lui explique ce que je fais en le rassurant. Tout en lui posant des questions d’ordre médical je prends sa tension, son pouls (tachy-arythmique +++: ça veut dire irrégulier et rapide), et aussi sa saturation en O2 dans le sang.
Et là, le chiffre tombe comme un couperet: 72 de sat !

N’ayant pas constaté de cyanoses ni d’acrocyanoses, je place le capteur de l’oxymètre à mon propre doigt, en me disant:

« Bon il a fait froid cette nuit, l’ASSU a dormi dehors… C’est peut-être un artefact ou un dysfonctionnement… » Mais à mon doigt l’oxymètre indique bien 99 % d’O2. Et merde, va chier ! J’ouvre plus largement le col de la chemise du monsieur en lui expliquant ce que je vérifie: en l’occurrence, je cherche un tirage sterno-cléïdo-mastoïdien ainsi qu’un balancement thoraco-abdominal, signant une détresse respiratoire aggravée. Mais des clous ! Rien !

Je lui replace la sat, et toujours un chiffre dans les patates, à peine plus haut que 70 %… Je me dis que Dudul ne va pas tarder et aussitôt je l’appelle histoire de lui demander de rapporter tout de suite l’ogive d’oxygène: tant qu’il débarque de l’ASSU, autant qu’il ne me rejoigne pas les mains vides…

  • Une main posée sur la main de ce vieil homme, je le regarde avec un sourire qui se veut rassurant tandis que j’explique à mon Boss par téléphone:
  • Je pense que ça ferait du bien à M. X qu’on lui donne un peu d’oxygène. Ce sera plus confortable pour lui. Tu es dans le coin ?
  • J’arrive dans 30 secondes. A toute !
  • J’explique alors au vieil homme un peu inquiet qu’on va lui administrer de l’oxygène, que ça lui fera du bien.
  • Mon co-équipier arrive, lui dis-je. Il a dû aller chercher les chaînes pour l’ambulance je rajoute pour faire bonne mesure, en lui faisant un clin d’oeil.

Le vieil homme sourit bravement.
J’en profite alors pour lui demander ainsi qu’à sa femme qui vient de nous rejoindre, s’il a des antécédents respiratoires connus:
– Monsieur X., avez-vous un dispositif d’assistance respiratoire à domicile ?
– Non…
– Est-ce que votre médecin a déjà évoqué une Insuffisance Respiratoire Chronique (IRC) ou une Broncho-Pneumopathie Chronique Obstructive (BPCO) ?
– Non plus…
– Bien Monsieur, alors on va placer un masque à haute concentration sur votre nez et vous allez être soulagé en respirant de l’oxygène pur grâce au masque, d’accord ?
– Oui-oui… Faites ce que vous avez à faire, me dit-il courageusement avec son accent welche.

Sa femme m’interroge du regard, inquiète. Je lui explique alors que son époux connaît un petit épisode de troubles du rythme cardiaque associé à une difficulté respiratoire, mais qu’en le conduisant en réa cardio, tout se passera bien et que l’équipe qui va le prendre en charge là-bas saura très bien s’occuper de lui et faire ce qu’il faut pour résoudre ce problème.

Rassurée, elle se dirige vers la porte tandis qu’apparaît ma vieille Dudul ! Je lui fais un topo succinct de la situation, alors qu’il m’écoute d’une oreille et salue avec amabilité le Monsieur et son épouse. Se penchant sur le patient, qui précisément est un patient patient, il jette un oeil à mon synoptique et prend connaissance du bilan avec les constantes.

On lui place le masque, et, le patient n’étant ni IRC ni BPCO, on lui balance de l’oxygène à 12 l/minutes. Puis on l’assoit sur la chaise-portoir et on le sort. Sur le brancard, on l’installe en position demi-assise, histoire de l’aider à mieux respirer. Et voilà, on enfourne le tout dans l’ASSU, et je meretrouve assis dans la cellule sanitaire, après avoir dit au-revoir à Madame X.

Prenant à son tour congé de l’épouse de Monsieur X., sautant derrière le volant, Dudul lui suggère d’appeller la réa cardio d’ici une heure ou deux, le temps de faire les examens préliminaires. Son ton est rassurant et, à travers les vitres teintées, je vois que Mme X. semble vraiment soulagée.

C’est là que TOUT a foiré !

Malgré les chaînes, il y a une putain de saloperie de congère glacée-gelée, plus glacée-gelée qu’une nageuse Est-Allemande frigide ! Et forcément, l’ASSU part en plein dessus ! Voilà, les roues avant sanglées de leurs belles chaînes jaunes tournent dans le vide ! Le bas de caisse repose sur cette salope de congère ! Descendant de l’ASSU, Dudul demande à la femme, toujours dehors, sur le pas de la porte, si elle a une pelle ou une pioche, un piolet, qu’importe, histoire de péter la glace, maintenant les roues avant de l’ASSU à 30 cm dans le vide…

La petite femme court chercher des outils, Dudul en  sélectionne deux et vas-y que je me couche sous l’ASSU, à même la glace, à taper comme un sourd dans la neige congelée… Au bout d’un bout, il passe sa tête par la porte de la cellule où je suis assis, en train de rassurer notre Monsieur X. Celui-ci est calme, et même, il sourit de la cocasserie de la situation. Au moins un que ça fait rire ! Je sors relayer Dudul tandis que celui-ci s’assoit auprès du brancard pour récupérer un peu et se réchauffer.

C’est à mon tour d’être vautré sur la glace du sol, à taper comme un sourd avec la pelle que Dudul m’avait filée… Et au bout de ce qui me semble une éternité, la gorge en feu à cause de l’air froid, ce qui devait arriver arriva: la pelle se pète. C’est net et sans bavures ! Me voilà avec juste un manche de bois dans mes mains bleuies par le froid, tandis que le fer de la pelle est gentiment en train de dessiner un sourire à la glace de la congère…

– Euh Dudul… On a un petit problème, lui dis-je en passant la tête par la porte latérale de l’ASSU, en lui montrant la pelle décapitée.
– Bon, ben euh… Ben… Vois avec la dame si elle n’a pas autre chose, sinon, continue avec le manche.
– Glps ! Bon…

Et de continuer un bout jusqu’à ce que, n’en pouvant plus, Dudul vienne me relayer tandis que je retournais au chevet de Monsieur X. maintenant franchement hilare ! A un moment, je sens que l’ASSU vient de descendre de son putain de perchoir à la con… Une petite secousse et je me dis qu’on va pouvoir repartir…  Dudul se place au volant, tandis que Madame X. se place devant l’ASSU pour le guider.

Madame bonhomme de neige

Elle n’avait pas prévu qu’il passe la marche arrière. Elle aurait dû ! Quand Dudul met les gaz, les roues avant se mettent à projeter de la neige et de la boue sur la pauvre dame, qui maintenant ressemble plus à un bonhomme de neige qu’à ce qu’elle était encore un instant auparavant ! De la neige et de la boue partout: sur le visage, dans les cheveux, sur son manteau… PARTOUT !

Dudul étouffe un fou-rire nerveux tandis qu’il saute à terre. Je suis moi-même obligé de me détourner de Monsieur X. parce que je sens que je pars en couilles à mon tour. A travers la portière avant laissée ouverte, j’entends Dudul demander au “Bonhomme de neige”:
– Ca va madame ? Vous n’êtes pas blessée ?
Celle-ci rigole en s’époussetant…
– Oh ben non hein ! Faut pas vous inquiéter alors… Toujours cet accent welche, là !

L’ASSU est en tout cas à nouveau sur ces 4 roues et on peut mettre les voiles et foutre le camp de cet “Enfer blanc”, Dudul derrière le volant, conduisant prudemment vers la sortie de la propriété, toujours chaînés, jusqu’à ce qu’on retrouve le bitume…

Le déchaînage ne lui a pas pris plus 2 minutes et puis voilà, on filait vers l’Hôpital Schweitzer avec Monsieur X. qui finalement, s’en est payé une bonne tranche. Nous voir trimer comme des sacs, vautrés dans la neige et la glace, les mains et les genoux plus bleus qu’un putain de Schtroumpf, à dégager l’ASSU de cette saloperie de congère lui aura au moins permis d’oublier qu’il n’était pas là pour faire joli, mais qu’à la base c’était parce qu’il était VRAIMENT mal qu’on était venus ! Pour lui porter secours ! Pas pour le divertir, bordel à cul…!

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Jean LAENGY - Ambulancier DE

Ambulancier SMUR depuis 2001, j'ai commencé dans ce métier en 1995 en tant qu'AFPS. Une fois mes qualifications en poche, j'ai eu la chance de voyager dans le cadre de ma profession. SMUR de Colmar puis ambulancier à Biarritz en passant par le SMUR de Montbéliard avant de revenir en Alsace où j'ai entamé des études d'infirmier. Trouvant à travers mes stages le métier d'IDE peu intéressant car trop protocolaire, je suis retourné sur le terrain de l'UPH et de la PDS en tant qu'ambulancier DE. J'exerce toujours ce métier avec la même passion qu'aux débuts.

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