On ne le rappellera jamais assez mais l’évaluation clinique et le bilan de l’ambulancier sont des éléments primordiaux. Chaque professionnel de santé se doit d’être irréprochable au possible dans ce domaine. Cet article vous apportera des éléments de rappels à ce sujet.
Rappels et choses à retenir
Depuis le nouveau décret du 31 août 2007 établissant l’équivalence CCA/ADE, la profession vient de faire un grand pas dans le sens d’une reconnaissance indéniable de notre statut en tant que professionnels de santé. Dans cette optique, chacun de nous a un devoir de rigueur dans l’exercice de notre métier et ce, quelle que soit la qualification (Ambulancier Diplômé d’Etat ou Auxilaire).
Cela signifie notamment l’adoption impérative d’un langage médical universel, mais aussi et surtout une approche holistique, c’est-à-dire globale, de l’individu au chevet duquel nous intervenons à la demande du requérant. L’évaluation clinique et les transmissions ne peuvent souffrir d’aucune carence et encore moins de légèreté, quel que soit le cas auquel nous sommes confrontés.
Ainsi, le bilan et les transmissions sont capitales à plus d’un titre : ils permettent au médecin régulateur de faire un télé-diagnostic plus fin, mais aussi d’assurer, une fois le patient déposé au SAU, une traçabilité synthétique qui sera versée au dossier de soin du patient et sur lequel s’appuieront les médecins en hospitalier ainsi que l’équipe pluridisciplinaire qui assurera la continuité des soins. J’attire votre attention sur l’aspect médico-légal de notre engagement.
Le bilan
Personnellement, je définis le bilan comme suit : « C’est l’action de rechercher, de collecter et de recouper des informations auprès du malade et/ou de son entourage, permettant à l’ambulancier diplômé et à son auxiliaire, de déduire un tableau clinique mono ou polypathologique en tenant compte en tout premier lieu de l’observation par les sens et par les constantes exprimées, puis de faire le lien avec la ou les conduites à tenir face à ce tableau, en fonction et dans la limite de nos connaissances et des décrets fixant l’attribution de nos compétences. »
L’équipage d’ambulanciers missionné par le SAMU est le premier maillon de la chaîne de la prise en charge de la personne et de sa (ses) pathologie(s). A ce titre, nous pouvons être déterminants pour le devenir du patient ou de la victime. L’approche et la rencontre entre malade et soignant médico-technique (ambulanciers) sur les lieux est d’une importance fondamentale. C’est au cours de cette première prise de contact que d’emblée, l’équipage doit se poser des questions :
- Où sommes-nous?
- En présence de quelles personnes ?
- Qui est la victime ?
- Y en a-t-il plusieurs ?
- Faut-il faire un tri ?
- Quelle est la personne de l’entourage la plus anxiogène pour la victime ?
- De quelles infos disposons-nous au regard de l’habitation ? (sale, propre, ressources financières…)
- Y a-t-il une personne de confiance ou une personne ressource présente sur les lieux ?
- Y a-t-il un problème de barrière linguistique ou culturelle à surmonter?
Ces éléments constituent un point de départ instantané pour situer le contexte socio-économique ou socio-culturel.
IMPORTANT
L’ambulancier et son binôme doivent savoir qu’ils ne seront pas perçus de la même façon en fonction des « zones » entourant la victime, et que le dialogue ou le questionnement n’aura pas les mêmes réponses que cherchent à obtenir les sauveteurs (dans le but de compresser le délai de prise en charge).
Voici les limites de ces zones
- La zone intime : rayon de 30 à 50 cm autour de la victime → ATTENTION !…
- La zone personnelle : jusqu’à 1 m.
- La zone sociale : de 1 à 3 m.
- La zone publique : au-delà de 3 m.
Evidemment, pour se livrer à une évaluation clinique, le contact avec la victime est très étroit parfois, nous obligeant à utiliser le toucher ou la palpation pour affiner l’évaluation, essentiellement en traumatologie.
J’inclus dans ces zones ceux que l’on nomme les « attendants » – famille, collègues, entourage etc… – et qui seront aussi pris en charge par l’équipage sur le lieu de l’intervention, car ils ne doivent pas être négligés. Ils ont droit, selon leur lien de parenté, à une explication éclairée, précise et sans mensonges, car cela fausserait la confiance instaurée en première instance, à l’arrivée des secours.
Or les attendants sont une source d’information de tout premier ordre sur l’histoire de vie de la victime, ses ATCD, les TTT en cours, les circonstances de survenue du problème etc… Ici, l’auxiliaire a toute sa place dans la recherche d’informations et de désanxiogénisation de la situation : il s’agit pour lui de rassurer, sans mentir ou minimiser ( → minimiser signifierait ne pas reconnaître la détresse du patient !!!), d’écouter activement ( → faire reformuler), de poser des questions ouvertes (appelant une réponse formulée) ou des questions fermées (seuls le « oui » et le « non » peuvent être des réponses) .
Le bilan doit suivre une trame, un fil conducteur où chacun des deux binômes sait ce qu’il a à faire, dans la complémentarité.
- Examen ou évaluation clinique. L’observation vaut mieux que toutes les constantes… !
- Recherche de signes de gravité permettant d’anticiper l’engagement du pronostic vital.
- Interrogation du patient sur les circonstances de survenue : y a-t-il eu des prodromes (signes avant-coureurs)?
- Prise des constantes utiles dans le même laps de temps, sans rompre la communication lorsqu’elle est possible avec recherche d’ATCD personnels et familiaux, interrogation sur le ou les TTT en cours (→ recouper ces informations avec l’équipier ayant pris en charge l’entourage, pour confirmation)
Ceci peut se faire tout en accomplissant des gestes techniques de première urgence lorsque la situation l’exige. (Techniques d’hémostase, application d’O2 – au débit approprié avec le vecteur approprié : attention à l’hypercapnie chez un IRC ou un BPCO connu → risque d’abolition bulbaire de la commande nerveuse respiratoire – par exemple, etc…)
Cas particulier de la psychiatrie
Le processus reste le même, avec cependant quelques règles de base à respecter scrupuleusement :
- Penser au risque de passage à l’acte hétéro-agressif ou auto-agressif : le patient peut décompenser à n’importe quel moment et se montrer violent envers les ambulanciers ou envers lui-même → assurer la sécurité du binôme +++ et du patient. → Respect des « zones » décrites plus haut.
- Pratiquer l’écoute active (reformulation et attente de confirmation de la part du patient).
- Rester empathique mais ferme et ne pas entrer dans le jeu de la recherche du bénéfice secondaire attendu par le patient.
- Si la sécurité de l’équipage risque de se trouver compromise, en premier lieu s’extraire du contexte rapidement et ne pas hésiter à demander un renfort policier et en référer immédiatement au MR (la conversation étant horodatée, nous sommes couverts d’un point de vue médico-légal)
Le Stress
Si nous autres ambulanciers sommes quotidiennement soumis au stress lors d’interventions, si nous le connaissons comme on connaît un vieil ami, quelqu’un qui nous est familier, il n’en est pas de même pour le patient ou la victime : pour lui, la situation est « exceptionnelle ». La gestion du stress du patient est un élément que nous DEVONS prendre en compte, quelles que soient les circonstances. Le stress, c’est quoi ?
C’est une réponse de l’organisme destinée à nous permettre de faire face à une situation de crise, par définition inhabituelle. Vieil héritage génétique de notre condition de mammifères, le stress, à l’instar de nos amis à quatre pattes, est un processus qui libère dans notre organisme différents neurotransmetteurs tels que l’adrénaline, la noradrénaline, et qui inhibe la recapture de la sérotonine, de façon momentanée.
Les répercussions sur l’organisme sont diverses : dilatation des pupilles, augmentation du calibre artériel et veineux (pour pouvoir fuir devant une menace le cas échéant), blocage de la fonction digestive, augmentation de la fréquence cardiaque et de la fraction d’éjection ventriculaire, etc…, le tout étant commandé par le système nerveux sympathique.
☛ Je vous laisse le soin de faire le lien avec l’hémodynamique chez un patient, en tenant compte de la dilatation artério-veineuse et de la tachycardie engendrée par le stress.
Il nous appartient de prendre en compte certains éléments qui nous sont familiers, à nous, ambulanciers, mais auxquels nous ne pensons pas ou peu, afin de mieux comprendre le stress que notre arrivée chez une personne malade peut occasionner.
- Nous arrivons avec sirène et xénons
- Nous arrivons à deux sur le « territoire » du patient, dans son intimité
- Nous arrivons à son chevet, souvent dans une chambre à coucher, ultime « bastion » territorial du malade, ultime refuge.
- Nous arrivons avec un sac d’intervention, parfois une ogive d’O2 , une chaise portoir etc…
- Nous sommes appelés à porter des gants d’examen, pouvant être perçus par la victime comme une barrière entre elle et nous, pouvant aussi être perçus comme une humiliation suprême…
- Territoire : Nous sommes avant tout des mammifères. En tant que tels, la notion de territorialité est fondammentale chez l’humain.
- Humiliation : La personne est « malade », « pas bien », « ne peut plus se mouvoir ». C’est déjà pénible d’avoir à s’avouer à soi-même en temps normal que, dépassé par les événements, nous sommes contraints de « demander de l’aide », imaginez ce que l’on peut ressentir quand un problème médical (médecine pure ou traumato) survient : inquiétude, angoisse (parfois majorée par l’entourage), sensations pénibles, obligation de s’avouer « vaincu » et de commencer un travail d’acceptation de son propre état dégradé. Voir deux silhouettes debout alors que le patient est couché, « soumis » sur son propre territoire… Tout cela participe au STRESS du patient !
Trucs et astuces en réponse
- Saluer tout le monde avec politesse.
- Ne pas débarquer comme des cow-boys.
- Tenir compte du temps, mais ne pas brûler les étapes : si le SAMU attend son bilan dans un délai de 3 minutes, on privilégiera le patient, et le SAMU attendra !
- Se placer au niveau de la victime et lui expliquer, si cela s’avère nécessaire, qu’on ne porte pas des gants de crainte de se salir, mais parce que nous ne voulons pas lui transmettre NOS microbes : c’est pour le préserver lui, le patient, que l’on porte des gants…
- TRAÎTER LE PATIENT COMME NOTRE ÉGAL !!!
- Se rappeler des « zones intersubjectives » décrites plus haut.
- Inspirer confiance, rester calme et attentif, rassurer +++ mais ne jamais mentir. Ni à la victime ni à son entourage le cas échéant. RAPPEL : le langage ne compte que pour 7% dans la transmission d’un message, l’intonation pour 38% et la communication non-verbale compte pour environ 55%
- Attention aux mimiques. Mimique = jugement de valeur !
Les transmissions
De la qualité de ce qui est noté sur les fiches de bilan, dépend la qualité des transmissions au SAMU centre 15 ainsi que les transmissions lors de la dépose de la personne transportée au SAU.
Rappel : Ces fiches ont un caractère médico-légal puisqu’elles sont la base de l’orientation clinique que le médecin suivra en fonction de ce que l’ambulancier et l’auxiliaire auront noté, et qu’elles seront versées au dossier de soin du patient arrivé au SAU. La transmission du bilan au SAMU centre 15 se doit d’être structurée, quel que soit l’environnement dans lequel le bilan est transmis – même si c’est parfois très très difficile (on l’a tous vécu… !)
Contenu des transmissions = contenu du bilan dans le même ordre. Identité de la personne, sexe, âge, motif de l’appel, constat à l’arrivée de l’équipage, circonstances de survenue du problème, avec ou sans prodrome, selon les ATCD, le ou les TTT en cours, un effort etc…, l’état actuel de la victime, les gestes entrepris, puis attente de la décision du PARM ou du MR sur le lieu d’évacuation.
Pour une question de crédibilité, j’attire votre attention sur le langage universel de la médecine. Une bonne transmission est une transmission technique ! Utiliser le langage médical universel : « douleurs abdominales aigües hypochondre gauche » au lieu de « la personne a très mal au ventre, en haut à gauche », ou autre cas, « plaintes exprimées : violentes céphalées pulsatiles localisées temporales bilatérales » au lieu de « la personne dit qu’elle a très mal à la tête, comme si ça lui battait les tempes des deux côtés des tempes ».
Déjà entendu aussi : « La personne a fait un caca tout noir qui pue vraiment beaucoup. On dirait du goudron, et je vous explique pas le coeur qui bat vite et la tension dans les chaussettes… » On aurait aimé entendre quelque chose de plus professionnel comme : « Emission de selles noires, goudronneuses et nauséabondes accompagnées d’une tachycardie à xxx BPM et une systole à 90… ».
→ Dans cet exemple, le MR sait que les ambulanciers sont face à un tableau clinique qui signe un méléna, autrement dit une hémorragie digestive haute. Mais dans le premier cas de figure, le médecin régulateur, au mieux se moque des ambulanciers (ça vaut aussi pour les pompiers), et au pire il fait en sorte que de tels « professionnels » ne fassent plus de gardes → c’est la compagnie toute entière qui est rayée du tableau de garde.
Il nous faut donc prendre l’habitude de parler le « médecin »
- Mal au ventre = gastralgie
- Mal à la tête = céphalée
- Mal au cou ou dans le dos ou dans les lombaires = cervicalgie ou dorsalgie ou lombalgie.
- Saignement du nez = epistaxis
- Saignement des oreilles = otorragie
- Saignement de l’anus = rectorragie
- Section des veines = phlébotomie
- Plaie ouverte à l’abdomen = laparotomie
- Le crâne enfoncé = embarrure
- Fréquence cardiaque ↑ et TA ↓} = hémodynamique instable + les valeurs (Ex : FC à 130 bpm + TA 90/60)
- Saignement du vagin hors période des règles = métrorragie
- Règles trop abondantes = ménorragie
- Du sang dans les urines = hématurie
- Crache du sang = hémoptysie
- Vomit du sang = hématémèse
- Respire difficilement = dyspnéique
- FC > 100-110 = tachycardie. FC inférieure à 60 = bradycardie (→ attention aux sportifs)
- FR > 20 = polypnée (ou tachypnée, également admis). FR inférieure à 10/12 = bradypnée
- → Exprimer les valeurs de la PA en mmHg plutôt qu’en cmHg. Ex : 130/80 au lieu de 13/8
Bref…, utilisons ce vocabulaire pour être crédibles.
Si bilanter une victime n’est pas toujours aisé et demande TOUJOURS une rapidité d’exécution, il n’en demeure pas moins que rester professionnels est la condition sine qua non pour faire du bon boulot. Et c’est de ça dont les victimes ont besoin. Elles n’ont pas besoin de voir débarquer des cow-boys trop sûrs d’eux mais à l’inverse, elles n’ont pas envie de voir débarquer à leur chevet des ambulanciers crispés, stressés et tremblottants.
Pour terminer
L’approche d’une victime est une relation humaine qui s’instaure. C’est donc avec l’« humain » qu’il faut travailler, c’est-à-dire l’observation, la discussion lorsqu’elle est possible, la détection visuelle des signes cliniques. Prendre une saturation ou une glycémie n’est pas systématiquement nécessaire. Il faut s’adapter à chaque situation.
→ Un dextro chez quelqu’un qui s’est cogné la tête est inutile et constitue une perte de temps.
→ Une SpO2 chez quelqu’un qui s’est fait une entorse est inutile et constitue une perte de temps….
Prenez une SpO2 seulement si vos observations laissent à penser qu’il y a un déficit en O2… Idem pour le dextro : si une personne se casse une jambe, pourquoi un dextro s’il n’y a pas d’ATCD ou de notion de diabète ??? Il faut rester cohérent et travailler avec bon sens et RIGUEUR !
J’insiste sur un dernier point. Et j’insiste LOURDEMENT: Le monitorage et les chiffres sont une chose…, mais RIEN ne remplacera JAMAIS votre flair, votre aptitude à observer, à écouter, mais surtout à ENTENDRE la détresse, et RIEN ne remplacera JAMAIS vos CONNAISSANCES et votre EXPÉRIENCE.